Le JDR – Un casse-tête sémantique ? télécommandeurs, interprètes et Gamer(z)

Montage original GIS for lego

Plutôt « Paladin Lv17 » ou « Brook Rockwell – poursuivi et dangereux » ?

Rappel de l’épisode précédent

Dans un épisode précédent, je vous ai proposé de nous pencher sur la définition du mot «  » et de son sens dans notre loisir. Cela m’a amené à distinguer entre :

  • le rôle – archetype fonctionnel (« je joue le rôle du paladin dans ce groupe de personnages »)
  • le rôle – liste des paramètres à respecter quand on interprète un personnage (« j’interprète un personnage évadé de prison et consumé par son désir de vengeance« )

Partant de cette distinction, je me suis risqué à dire qu’il y avait finalement deux tendances correspondantes de jeu au sein de la communauté :

  • La tendance à « télécommander » son personnage de manière indirecte et en fonction de son archétype fonctionnel (« mon paladin ouvre la marche, au cas où on tomberait sur des morts vivants » – c’est ce qu’on attend typiquement d’un paladin)
  • La tendance à interpréter son personnage de manière directe et en fonction des traits du personnage (« mon personnage ne va pas perdre de temps à flirter, il pense à sa fille massacrée et aux flics qui gagnent du terrain » – c’est ce que le joueur déduit en rapprochant ce qu’il sait du personnage avec la situation en cours)

Dans le premiers cas on privilégie le jeu d’un archétype fonctionnel.

Dans le second cas on privilégie le jeu de conformité aux paramètres d’un rôle.

Les traits communs aux «  » et ceux des

photo originale de engadget

Sur la base de mes expériences de jeu, je constate des points communs entre joueurs d’une même tendance :

1. Pour les joueurs de première tendance (« télécommandeurs »)

  • la création de personnage : on a souvent l’impression que le joueur « télécommandeur » crée ses personnages sur la base d’un archétype (roublard, soigneur, barde etc.) ou d’un patchwork d’archétypes (un guerrier qui connaît un peu la magie etc.). Il apprécie les backgrounds de personnages écrits à l’avance, bien étoffés, bardés de détails.
  • pendant le jeu : même s’il prend parfois des initiatives d’, on sent le joueur « télécommandeur » souvent retranchés dans la palette « d’actions types » qu’évoque l’archétype de son personnage. (un paladin prie, se comporte loyalement, il protège les innocents, il est courageux et intègre). Le joueur « télécommandeur » a souvent tendance à décrire ce que fait son personnage plutôt que les raisons qui le poussent à agir ainsi. Par voie de conséquence, il a souvent tendance à expliquer les actes de son personnage par son archétype plutôt que par ses (celles de son personnage), son intellect, ses instincts.

Il a également tendance à parler de son personnage à la troisième personne du singulier ou à l’interpréter indirectement (« il fait ceci », « il dit cela » etc.).

  • poussé dans ses retranchements : (ex: sous un déluge frénétique d’informations, dans une scène dramatique intense etc.) je remarque parfois une réaction d’inconfort de la part du joueur « télécommandeur » dans le jeu de son personnage ; comme une frustration de ne pas pouvoir prendre posément une décision de contrôle de son personnage. Je décèle alors aussi une tendance à réagir de manière personnelle (le joueur énnonce ce qu’il ferait lui-même s’il était dans la situation de son personnage) plutôt qu’en s’inspirant de ce que pourrait faire son personnage.

En résumé, cette première catégorie de joueur pratique une sorte de distanciation (au sens théâtrale) avec son personnage. Je n’ai pas l’impression qu’il s’agisse d’un choix conscient, mais plutôt d’une stratégie de contournement, un peu comme si aller au delà d’une séance de « télécommande » de personnage représentait un inconfort. Pour cette tendance de joueurs, l’interprétation (au sens où je l’ai définie dans l’article précédent) semble plutôt être une contrainte qui pèse sur le jeu.

2. Pour les joueurs de la deuxième tendance (« interprètes »)photographie originale film Kickass - tous droits réservés

  • la création de personnage : ces joueurs apprécient les rôles à la définition minimaliste, peu d’écrit ; on improvisera pendant le jeu.
  • pendant le jeu : Ils improvisent les aspects inconnus de leur personnage en cours de partie sans forcément chercher des références (écrites ou orales) de ce que leur personnage est censé faire dans telle ou telle situation.

Ils ont également tendance à parler de leur personnage à la première personne du singulier où à interpréter directement (« je fais ça », « hey, vieux dégénéré, repose immédiatement ce globulateur pulsonic sur la table » etc.).

  • poussés dans ses retranchements : le joueur interprète a l’air d’aborder avec confort/plaisir les challenges d’interprétation posé par le jeu – cela ne l’empêche pas de bafouiller ou de faire des bourdes, mais il semble les aborder avec plaisir. Il s’inspire de ce qu’il pense être cohérent pour son rôle plutôt que de ce qui a été écrit ou formalisé d’une autre manière.

En résumé, la seconde tendance n’hésite pas à explorer directement son personnage – comme une sorte d’incarnation, de deuxième peau (pourquoi je pense au docteur Lecter moi ?). Pour ces joueurs, l’interprétation semble plutôt être une richesse de jeu, pas une source d’inconfort : « Chouette, je peux interpréter mon personnage ».

Observations

Avant d’arrêter mes investigations de de comptoir il faut tout de même que je fasse un double constat très subjectif :

  • A chaque fois que je participe à une table de jdr, mon plaisir de jeu est grandi lorsque je partage ce moment avec des joueurs qui sont à l’aise avec l’interprétation de leurs personnage (2nde tendance). Cela ne tient pas tant à la qualité de leur interprétation qu’au fait de sentir que tout le monde est à l’aise avec l’idée d’interpréter des personnages, que cela est ludique pour eux. En effet, lorsque les « interprètes » sont majoritaires à table, le potentiel de dépaysement et d’immersion de la fiction m’est toujours apparu plus fort pour tout le monde.
    Comme du plomb attaché aux jambes du plongeur, on s’immerge plus facilement. Ce potentiel me semble un paramètre crucial pour ressentir plus intensément les émotions et la dramaturgie d’une partie.
  • En observant les autres participants, il me semble que mon constat N°1 soit partagé : la présence de joueurs qui interprètent leur personnages semble être un catalyseur de la profondeur émotionnelle que vont pouvoir atteindre les autres participants pendant une partie.

Oui mais…?

Je vous laisse sur un tas de questions que je me pose sans pouvoir y répondre pour le moment (ok, certaines sont plus putassières que d’autres):

  • Est-ce que les « télécommandeurs » sont des interprètes en devenir ou bien est-ce que leur approche du jdr est un aboutissement à part entière qui leur donne satisfaction ?
  • Existe-t-il des jeux qui ne conviennent pas du tout à un type de joueur (AD&D4 Vs. Ambre) ?
  • Un de jeu peut-il améliorer le plaisir d’interpréter des personnages ? (La réponse n’est pas si évidente si l’on réfléchit en terme de contraintes de /liberté d’interprétation)
  • N’existe-t-il pas des jdr qui présentent des dissonances ? Je pense à ceux qui sont à la fois libérateurs et restrictifs pour l’interprétation ? (Ex : Feng Shui dont la lecture incite à une grande liberté d’interprétation des personnages mais propose un système de résolution et de création de personnage qui multiplie les archétypes obligatoires et les contraintes d’interprétation).
  • La rédaction d’un background de personnage détaillé ne nuit-elle finalement pas à l’interprétation libre de ce personnage ?

montage originale par http://uthinkido.com

Maintenant, à vous de réagir sur le sujet, moi je vais tenter un glissement latéral sur le jeu vidéo histoire de me faire des amis :

Le Gamerz ; un rôliste comme un autre…

Bein oui, si ce qui précède vous paraît cohérent, qu’est-ce qui nous empêche de constater que les joueurs de jeu vidéo sont des rôlistes « télécommandeurs » ?

video gamesEn effet, les joueurs de jeu vidéo jouent des rôles lorsqu’ils jouent à des jeux « à personnage » (l’archétype du soldat, le super héro, le plombier italien etc.). Avec les définitions qui précèdent, et même si on a du mal à l’admettre, on peut remarquer que la plupart de ces jeux vidéos « à personnage » sont bien des « jeux de rôles » stricto sensu (d’après les définitions génériques du jdr, et non pas d’après la définition du jdr que je propose).

Il y a bien entendu des aspects qui permettent de distinguer le Rôliste (au sens où l’entend la communauté française dominante) d’un « Gamer » du jeu vidéo (« Rôliste » et « Gamer » ne sont pas des concepts qui s’excluent l’un l’autre, naturellement).

Tout est dans la nuance

Parmi ces différences entre Rôliste et Gamer :

  • la nature des contraintes que respecte chacun pour jouer son rôle.
    Le Gamer respecte essentiellement des contraintes techniques (définition des paramètres du logiciel), le Rôliste respecte la plupart du temps des contraintes fictionnelles (liée au récit de la partie, à la définition de son rôle etc.) 

  • La possibilité d’outrepasser les contraintes du rôle.
    Les contraintes techniques qui s’imposent au Gamer sont par nature insurmontables et figées selon la définition du game designer (il détermine ce qui peut être modifié dans le jeu, de ce qui ne peut pas l’être).Par exemple, il ne pourra pas modifier la hauteur de saut maximum définie par les développeurs/game designers ou bien les règles de gestion de collision de son personnage, sauf si cela est prévu par le jeu lui même. Il n’y a donc pas de réelle transgression possible du système de jeu ni de la fiction du jeu pour le Gamer (sauf à utiliser un logiciel d’altération du code comme un éditeur hexadécimal).En revanche les contraintes fictionnelles qui s’imposent au Rôliste n’ont de limite que son imagination et l’acceptation des autres rôlistes avec lesquels il joue.

    Par exemple : vous interprétez un personnage que vous avez défini comme extrêmement lâche, tout d’un coup vous décidez de lui faire tenir tête à un gang de Hells Angels en colère.Tant que le MJ et les joueurs ne s’y opposent pas, vous pouvez explorer une certaine souplesse dans les contraintes de votre rôle (des contraintes qui le définissent).

    Généralement, une justification sera la bienvenue pour « couvrir » les libertés que vous avez pris par rapport au jeu orthodoxe et prévisible de votre rôle (« comprenez, à l’école mon personnage se faisait tout le temps humilier par un gamin qui portait le même blouson que le chef de ce gang » etc.). Ces espaces de transgression du rôle sont possibles et participent à la richesse d’une partie de jdr.

    En passant, certains semble prendre conscience de leur rapport figé à la transgression et vouloir briser le 4è mur pour intégrer ces possibilités de transgression directement à leur game design, par exemple des jeux à contexte futuristes comme KOTOR, Deus Ex, Mass Effect, ou le vieux ShadowRun (Super Nintendo) où il est possible de hacker/bypasser des systèmes. (Cette idée d’encadrer la transgression est au passage un tragique aveu d’impuissance : la transgression autorisée n’est par définition plus de la transgression).

    La transgression du système est depuis longtemps un arc-en-ciel du jeu vidéo : toujours traqué, toujours insaisissable. Les easter eggs et autres Code Konami témoignent de ces espace de transgression rêvés par les programmeurs de jeux vidéo, l’existence de Minecraft est probablement une invitation à la sérendipité, mais elle n’atteint pas la transgression. Non, dans les faits, la transgression logicielle est plutôt mal vue, lorsqu’elle n’est pas sanctionnée (Sachez, à titre de réflexion sur la liberté de jeu, que dans la vie non-virtuelle, certains de ces « exploits » de jeux vidéo sont punis pénalement en France bien que tolérés lorsque mis en scène dans une fiction.).

    La transgression du système est beaucoup plus souple et communément tolérée en jdr, elle reste un ressort puissant de renouvellement du plaisir de jeu.

    La tolérance de la transgression en jdr a aussi ses limites, il n’y a qu’à voir la réaction spéctaculaire des éditeurs de jdr, y compris ceux qui assument les apparences les plus « cool », généreuses, voire « de gauche », lorsqu’un transgresseur s’approche trop près de leurs intérêts dans le monde réel : on balance au flics et on assigne en justice (et on s’en vante publiquement) tous les fraudeurs (même boutonneux) qui proposent du pdf de jdr gratuit, même lorsque l’œuvre contrefaite fait l’apologie des comportements fictionnels les plus immoraux – beau pied de nez !)

     


  • l’intérêt d’interpréter un personnage de jeu de rôle ou un personnage de jeu vidéo.Montage original de Berserker
    Comme les jeux vidéo ne nous laissent pas souvent d’authentiques et larges plages d’expression personnelle, l’interprétation de personnages de jeux vidéos ne présente généralement pas de grand intérêt. Tout au plus les Gamer pourront y trouver une forme de satisfaction de l’égo lorsque le jeu vidéo en question implique des spectateurs humains (autres joueurs d’un MMORPG, petit frère ébahit par votre jeu couteau-pur-player à Counter-Strike, spectateurs dans un championnat).Certains concepts de jeu vont toutefois dans un autre sens : les emotes dans les MMORPG, la VOIP en jeu, les tags à appliquer sur les murs dans des FPS etc.Tous ces concepts reste toutefois largement destinés à produire des effets purement pragmatiques ou esthétiques, pas (peu) de place pour la profondeur des personnages.Si on excepte les jeux dans lesquels le ton de la conversation ou la variété des répliques produit des effets en jeu, l’interprétation des personnages de jeu vidéo reste en 2013 un paramètre marginal dans la grille de conception des Game designers.Probablement pour des questions techniques et de cibles de marché. Nous verrons ce que nous réserve l’avenir.
  • le facteur social ressenti pendant une partie.
    L’interprétation ne semble conserver réellement son intérêt sur la durée que dans le cadre de jeux impliquant d’autres participants.Le plaisir de s’investir dans l’interprétation d’un personnage pendant des heures, tout seul dans sa chambre relève plus de la schizophrénie que du jdr.
    On se lasse rapidement de pousser des Ya-hoo tout seul et de jouer « Role Play » lorsqu’on est tout seul au contrôle de Super Mario Galaxy II.Je remarque que la présence d’autres participants dans un jeu « à personnages » (ex. les MMORPG) ne déclenche pas systématiquement l’envie d’interpréter le sien.
    Pour le moment, je n’explore pas cette piste, mais je me permet de poser quelques questions pour un traitement ultérieur.Quel rôle joue l’attention des autres participants sur votre interprétation ?Quel est le rôle de la focale sur un personnage/joueur en cours de partie, et à l’inverse le rôle du flou de groupe ?Pour en revenir au jeu vidéo, malgré l’intégration prétendument sociale de beaucoup de Gamers dans une guilde, un clan, un groupe, on se rend souvent compte sur le terrain (dans le jeu vidéo) qu’autrui est plus souvent considéré comme une entité utile, un rôle (tank, healer, faire-valoir etc.) que comme l’avatar d’une authentique personne avec toute sa richesse et sa complexité.Cette tendance à nous faire oublier les autres dans le jeu vidéo, ou bien a les déshumaniser (réifier) spontanément sans que cela ne soit perçu comme un rapport anormal à autrui me paraît même flippante sur le long terme.

    C’est un point sur lequel je trouve le jeu de rôle plus sain : dans le cadre d’une partie de jdr en chair et en os, les yeux dans les yeux, les participants ne peuvent pas omettre toute la richesse humaine des autres femmes et hommes qui jouent avec eux.

Je vous laisse digérer tout ça avant de vous servir le dessert dans le prochain article sur la signification du rôleplay et des « règles du jeu« . N’hésitez pas à réagir à l’article, la variété de points de vue est importante pour nourrir la réflexion.

Montage original de totoroar

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(9 commentaires)

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    • faboo on 14 décembre 2016 at 18 h 36 min

    Intéressant cet article, je suis d’accord avec plein de choses, presque tout !
    Je peux facilement ranger les joueurs que je connais dans la catégorie « télécommandeur » ou « interprète », en effet. Bien sûr, ces catégories sont élastiques : on a aussi le joueur pour qui le rôle est juste un alibi, et qui joue son propre rôle : l’imposteur ! Et au contraire, celui qui interprète un peu trop son rôle et s’effondre en larmes quand son PJ se fait larguer : je trouve pas de nom pour celui-là !

    Le problème dans ton approche par le prisme « rôle », c’est que tu tombes dans le piège des mots. Ça sous-entend que le JDR n’est que du jeu de rôle. Non, c’est beaucoup plus. C’est pour ça que tu parles de « outrepasser les contraintes du rôle » et « le facteur social ». En fait, je me demande, sur une partie de 4 heures, combien de MINUTES on passe effectivement à jouer/interpréter le rôle ? Très peu, si on réfléchit bien. On passe beaucoup plus de temps à réfléchir, négocier, planifier une attaque, convaincre, explorer, se battre, à plusieurs. Le rôle, c’est juste le costume que l’on porte et la voix que l’on prend pendant qu’on fait tous ces trucs. Bien sûr, on agit de manière crédible, avec des phrases ou des choix en accord avec le perso, ce qui apporte un plus au jeu, mais n’en constitue pas l’essence (pour moi en tout cas). En fait, au lieu de JDR on devrait dire : jeu d’aventures imaginaires.

      • Steve F. on 16 décembre 2016 at 12 h 55 min

      Hello Faboo,

      Déjà merci pour ton commentaire. Je l’ai capté un peu en retard à cause d’un pbl de notification.

      Je vois bien la figure que tu désignes quand tu parles de joueur « imposteur » (choix très connoté moralement parlant), on l’a tous croisé au moins une fois j’imagine.
      Je ne suis pourtant pas sûr que ce soit une catégorie à mettre sur le même plan que les « télécommandeurs » / « interprète » (T/I).

      Parce qu’un « imposteur » peut tout aussi bien être un télécommandeur qu’un interprète. Même observation pour le joueur très attaché à son personnage / impliqué dans l’intrigue.

      Avec ces catégories, tu touche un point un chouilla plus intime chez les joueurs : quel est leur rapport au jeu – la pratique dans son ensemble – (et pas seulement au jeu de leur rôle).

      Sur l’approche par le prisme rôle, c’est parfaitement assumé et volontaire, je trouvais original et finalement peu courant de m’intéresser au « rôle » et au jeu « du rôle » par la porte de la sémantique.

      Tes observations sont donc pertinentes, elles me semblaient simplement relever d’un autre article, voilà pourquoi celui-ci n’en parle pas (il n’à pas vocation à présenter tout ce qu’on fait en jouant à une partie de jdr, mais seulement à réfléchir sur une partie de ce qu’on fait dans le jdr : jouer un rôle / interpréter un rôle.)

      Si tu souhaites réagir de manière plus détaillée sur le sujet, n’hésite pas.

        • faboo on 16 décembre 2016 at 16 h 58 min

        D’accord je vois. Dans ce cas, n’y aurait-il pas des interprètes « intellectuels » et des interprètes « émotionnels » : Mon PJ est furieux parce que c’est logique d’être furieux dans sa situation ou : mon PJ est furieux parce que je me mets à sa place et je ressens de la fureur !

        Ensuite, une autre interrogation : j’aime bien ton site pour son orientation « pratique ». Là, ça change une peu de registre (tu as le droit :)) mais je me demande : c’est par plaisir intellectuel, ou bien penses-tu que cette réflexion peut aboutir à quelque chose de concret en termes d’amélioration concrète de la pratique du jeu ?

          • Steve F. on 3 janvier 2017 at 11 h 34 min

          Problème de notif persistant, réponse tardive, désolé.

          La répartition interprètes “intellectuels” et interprètes “émotionnels” me semble tout à fait valable, de même que la « spontanés » / « réfléchis » etc.
          Mais au delà de cette typologie qui se borne à décrire les comportements (phénoménologique), ce qui m’intéresserai c’est de savoir ce qui est à l’origine de tel ou tel choix de réaction (intellectualisation/ »émotionalisation ») , et en quoi le jdr est un contexte particulier pour l’étude de ce phénomène.

          Mon intuition me dit que ça a un rapport :
          – avec le sens profond qu’on donne au jdr :
          * simple distraction qu’on aborde de manière consumériste et individualiste,
          * rituel social d’aguerrissement du clan (on fait du jdr pour renforcer la cohésion de son clan de potes et éprouver sa résistance face à des épreuves, même fictives),
          * catharsis sociale (on fait du jdr pour oublier, pour s’apaiser, se distraire d’une violence subie dans le passé, actuellement, et/ou prévisible)
          * etc.
          – avec notre rapport à autrui et à nous-même :
          * rapport à la confiance en soi
          * poids du jugement des autres
          * rapport à l’intimité
          * rapport au collectif
          * etc.

          Oui, effectivement, mon site a historiquement une forte teinte pragmatique, c’est effectivement la ligne éditoriale que je m’efforce de tenir. Les réflexions plus théoriques/conceptuelles peuvent contraster à première vue, mais pour moi elles sont au contraire très cohérentes, presque une évolution organique prévisible.
          La raison me semble évidente : toute étude sérieuse des faits, des mécaniques et de « ce qui fonctionne » incite l’Homme accompli à regarder plus haut, à chercher l’origine, les causes et donc à venir tôt où tard vers le concept. Le contraire me semble également valable : tout théoricien sérieux va inévitablement se plonger dans le concret pour éprouver ses intuitions.

          J’espère ne pas paraître rude, mais l’amélioration de la pratique du jeu ne me semble en définitive anecdotique dans ce type de démarche. C’était sûrement une motivation initiale, mais en chemin je me suis vite rendu compte qu’il y avait des enjeux bien plus intéressants : le conditionnement politique, économique, le rapport à autrui, le consumérisme, le narcissisme, le besoin de se divertir du tragique, le rapport au spirituel etc.

          Je suis venu au concept dans l’idée d’améliorer le jdr, j’en ressors avec 1000 autres questions beaucoup plus importantes à (tenter de) résoudre dans la vie d’un Homme.

          Lorsque j’explore le concept, je me rend compte que ce que je poursuit, ce n’est finalement pas du jeu de rôle mais c’est une attirance irrésistible pour le concept de Vérité. Je ne prétends pas la détenir, ni la connaître, mais j’ai parfois humblement l’impression de m’en rapprocher, et ça procure une sensation très agréable d’accomplissement. Et je pense que mes goûts et capacités me confèrent quelques compétences pour travailler sur la définition des choses. Je suis probablement moins à l’aise avec la manipulation des définitions que je produits (d’où mes tâtonnements dans cet article, qui sont plus des appels du pied pour être rejoint par d’autres) , mais n’est-ce pas une superbe occasion de passer le relais à d’autres pour entamer un collectif de travail ?

          Seul hic, je constate que mes appels du pied éditoriaux et mes propositions de définitions ne semblent finalement pas intéresser les bonnes personnes, leur relai étant au final que très limité ou appauvri dans ses finalités. La définition du jdr (sur table) que j’ai proposé sur Wikipédia demeure à ce jour, mais n’est pas utilisée pour ce qu’elle est : un outil.
          Elle est tout au plus utilisée comme un faire valoir ou une occasion pour certains de faire les intéressants en critiquant sans argumenter ou en proposant des pseudo-définitions qui n’ont pas le sérieux de l’exercice. Définir, c’est un exercice rigoureux, pas un défilé Chanel le nez dans la coke, si tu sais pas faire, tu laisses à d’autres.
          Je remarque globalement sur internet que les gens relayés ont souvent des profils de diva, de flatteurs ou de sophistes ; on les applaudis finalement plus pour les cacahuètes qu’ils lancent à leur public ou le sentiment d’avoir l’air intelligent/underground/avant-gardistes qu’ils arrivent à donner à leurs fans, sans pour autant avancer d’un iota.
          Les buts poursuivis confinent davantage aux petits égos, aux petits sous et aux petits avantages qu’à une édification du loisir ou des rôlistes.
          Je me tiens instinctivement loin de ces mondanités et petits arrangements adolescents parce que je connais leur stérilité. Je me suis aussi vautré là dedans, non sans plaisirs ; mais la dignité commande d’en sortir : le VIP rôliste, ça va un temps mais ensuite ça perd de sa saveur au point d’en devenir vomitif : on aspire à quelque chose de plus grand (?).

          J’aurai pu aborder ces concepts en parlant de rapport Père/fils, de secourisme ou de politique, mais c’est sur le jdr que j’ai eu envie de commencer, peut-être parce que c’est un loisir et un milieu social que j’observe depuis plus de 25 ans, avec une indéfectible tendresse. Je redoute les sirènes qui chantent à l’oreille des rôlistes depuis une quinzaine d’années par ce que si elles étaient écoutées, elles en dénatureraient radicalement l’essence. Je dois reconnaître que globalement, le jdr garde son cap en dépit des facteurs sociaux, économique et idéologiques ambiants. Pourvu que ça dure.

          Mais l’insouciance quasi religieuse des rôlistes (d’où son mantra : « râlez-moins jouez plus« ) et leur fixations hédonistes morbides exposent le loisir en permanence : on lui prend beaucoup mais en lui rendant rarement (alors qu’il serait important de penser et d’établir une structuration de la communauté pour sortir du tribalisme rôliste).

          Bref, sans être dégouté, je suis un peu lassé de jouer le « grand frère rabat-joie » qui parle contre le vent et suis donc retourné à ma position d’observateur qu’on sortira peut-être de sa retraite quand un accident arrivera et que personne ne saura gérer (et je prie pour que cela n’arrive jamais).

          En attendant je te souhaite une excellente année Faboo ! A toi ainsi qu’à tous les curieux de passage : tous mes vœux d’accomplissement individuel et d’épanouissement dans le collectif (et des PEX !)

  1. Comme les pratiques et habitudes sont transversales, je me demande si même la manière d’aborder le jeu n’a pas changé.
    Notamment avec un comportement de plus en plus répandu, celui de « testeur ».
    Avec la multiplication des plateformes d’échanges (légales ou pas), un gamer lambda a beaucoup de choix, l’offre de jeux est énorme. Mais il est conséquemment de plus en plus dur de trouver de bons jeux. Ne serait-ce que parce que le tri prend du temps.
    Pour ma part, je remarque passer plus de temps à « tester » ou regarder des tests, qu’à réellement jouer. Il suffit de voir les succès qu’on les let’s play, ces vidéos où des gens jouent à un jeu à votre place, pour affirmer que ce comportement de « testeur » est très partagé.
    Or dans le jdr, j’ai l’impression de retrouver ce comportement de « testeur », qui fait les beaux jours des sessions en one shots. Je n’ai pas de chiffres, ni de stats, pour prouver une quelconque modification des comportements. Mais cela ne fait que quelques années que j’entends à répétition des phrases comme « ah j’ai envie de tester ce jdr » « […] ce système », plutôt que tout simplement « jouer ». Et pendant les debrifing d’après parties, c’est principalement le jeu qui est discuté, pas la performance du mj.
    A l’époque (années90), si le mj demandait des retours, on lui en faisait sur sa prestation et sur la qualité du scénario. Je ne me souviens absolument pas que le système était remis en cause. On ne testait pas, on jouait.

    1. Effectivement je ne m’étais pas rendu compte de la tendance, mais elle existe indéniablement ; j’en partage le constat autour de moi. Maintenant quelle est l’origine à cette tendance et surtout que révèle-t-elle (si elle révèle qqch pour vous) ?

      Perso ça m’évoque encore une fois une forme de réification de l’humain : on saute à pieds joints sur des composantes humaines pour les faire rentrer de force dans des cases machinales, statistiques et « objectives » (les règles, les scénarii officiels, les chiffres de vente comme baromètre de santé du jdr etc.).

      On « teste » un jeu comme on testerait la capacité d’un service de table à rendre un repas inoubliable, quid des partenaires ? Est-ce que la qualité profonde et les apports de notre loisir résident dans le talent des concepteurs de jeu ? Si non, pourquoi agir comme si c’était le cas ?

      Le jdr se retrouve de manière surprenante un marqueur dans l’opposition contemporaine entre l’importance de l’être contre l’importance de l’avoir.

      1. Sur ta dernière phrase, je dirais même que c’est d’autant plus flagrant que le jdr ne représente rien commercialement et que c’était par définition le medium qui échappait à toute forme d’emprise de la marchandise.
        Sur le constat de réification, bravo pour la justesse du terme. J’irais jusqu’à dire que finalement les thèmatiques des jdrs sont axés sur l’avoir et le mensonge depuis toujours et que la réification des jdrs est un peu le dernier clou planté dans le cercueil.

        Un petit exemple : dans GameOfThrones on retrouve l’inquisition à la Torquemada, l’ostracisation, la tolérance de l’inceste, de la prostitution, l’usure et ses corrolaires, l’euthanasie, la torture, la guerre sans l’aimer, du pain du vin et des jeux, le racisme, l’ostracisation, les sacrifices humains, l’intolérance envers l’homosexualité. Eléments dont on ne peut pas dire qu’ils n’ont pas existé à toute époque, mais surtout JAMAIS autant qu’aujourd’hui. Un historien médiéval le sait, le monde médiéval est loin d’avoir été aussi sinistre qu’on veut nous le faire croire, le rôliste lambda non (que je suis d’ailleurs).
        Tout cela pour montrer que par ses thématiques mensongères ou propagandistes, le jdr était déjà mal barré. Medium aux potentialités énormes mais empêtré des ses débuts dans l’esprit de notre époque : l’arrogance de l’ignorance, symptôme du zeitgeist.
        Comme quoi jouer ça n’est pas anodin, comme le reste. Est-ce qu’on joue à l’avoir ou à l’être ?

    • Kalish on 27 mars 2014 at 8 h 27 min

    Pour la question « Un système de jeu peut-il améliorer le plaisir d`interpréter des personnages ? » Je répondrait oui. En effet, j’ai pu constater que certains de mes joueurs qui étaient plus en « télécommande » venaient à plus d’interprétation avec un système « ultra-rigide » : Le système d’Apocalyps World.

    Peut-être que le fait que chaque résultat de chaque action soit décrite dans le système, et non par l’interprétation du MJ ou des joueurs, leur donne des appuis plus claires et donc les « libèrent » des interrogation du type « est-ce que faire ça correspond à l’archétype de mon personnage ».

    A noter qu’en tant que MJ, je me suis d’abord senti mal à l’aise avec ces règles qui disent « si il fait 7 il se passe ça, si il fait 11 il se passe ça ». Mais à l’usage, c’est plutôt libérateur.

    1. Merci pour ta contribution, c’est une observation intéressante. Je n’avais pas capté ça à la lecture de SW.

      Par curiosité, lorsque tu parles de « libérateur », tu penses à qui ? (libérateur pour le MJ ou bien pour les Joueurs ?)

      Dans un cas comme dans l’autre, je ne suis pas sûr qu’on puisse parler de « plaisir d’interpréter un personnage » dans ce cas.

      Tout simplement parce qu’il n’y a pas réellement d’interprétation lorsque c’est le système qui décide. C’est plutôt de la description généré par le système, et ces descriptions du système ne sont pas des actes libres de tes joueurs.

      Attention, je ne nie pas que ce mécanisme de SW génère du plaisir, mais ce que je soutiens, c’est que ce plaisir n’est pas une résultante de l’interprétation.

      Pour bien comprendre, on peut rapprocher ce mécanisme en jdr (le système qui génère des descriptions impliquant les personnages) des Cinématiques de jeu vidéo. Des situations prévues par les concepteurs du jeu et qui retirent momentanément au joueur ses possibilités d’interprétations (les joueurs ne choisissent pas librement le déroulement ni l’issue de la cinématique). C’est sympa de mater des cinématiques, mais le plaisir qu’on éprouve à ce moment là ne vient pas de notre interprétation du personnage.

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