6 – L’après incantation Oups ! Tout ne se passe pas comme prévu !
Si certains sorts ne réserveront pas réellement de surprise à vos investigateurs en terme d’effets, on peut imaginer d’autres situations plus embarrassantes. Voici deux idées que vous pourrez développer :
Pas le bon résultat
Le sort décrit des effets peu ou totalement différents de ce qui s’est passé en réalité. Ex : Le sort est sensé protéger, mais il corrompt totalement un endroit, une conjuration qui se solde en invocation, une guérison qui finit en maladie gravissime, etc.
Tout est envisageable, mais ne soyez pas trop rude avec vos joueurs, laissez toujours à leurs personnages une chance de découvrir le pot aux roses avant l’incantation.
Pouf pastèque ! Rien du tout (?)
Le sort n’en était pas un ou un élément d’invocation a été négligé, etc. En tout cas rien ne se produit et gageons que les personnages vont se trouver bien embarrassés en brandissant leur symbole de protection en pâte à sel devant ce Dhole affamé. Une variante intéressante de cette idée est de donner des effets à retard, quelques instants, minutes/heures/jours après invocation.
7 – Mettre en scène
Tout à l’heure, nous avons un peu développé la mise en scène au moment où les investigateurs découvrent un sort. Mais que se passe-t-il quand on est « au feu« , là, dans la cave de l’oncle Profond’like au moment où on termine d’accomplir son sortilège et qu’on patauge dans les intestins de Timmy, le nouvel ex-PJ de bob ?
Comment décrire les sorts à vos joueurs ?
Je pense qu’on peut diviser l’accomplissement du sort en 3 phases : actes préparatoires, fin du sort, après-coup.
Les actes préparatoires
Ils seront généralement dénués « d’effets spéciaux », aussi vos descriptions seront très sobres. C’est une méthode efficace pour laisser tergiverser vos joueurs sur l’efficacité de ce qu’ils font jusqu’à la dernière seconde. L’effet peut être maximisé si vous les regardez calmement, voire bovinement en répétant les actions qu’ils vont vous décrire à la manière d’un psychanalyste de film américain :
» – On déchire le parchemin au dessus de la flamme !
– Ok, vous le déchirez… Passe-moi le cola, s’il te plaît.
– Et là, on récite l’incantation 5 fois !
– D’accord, vous baragouinez votre truc.
– Et on jette le contenu de la jarre solennellement sur le feu.
– Pfffffcchhhh ! Ca fait de la fumée et ça ne sent pas la rose… «
Côté hors-jeu, je vous conseille de garder une lumière neutre dans votre local de jeu, de ne pas passer de musique spécifique qui trahirait peut-être la suite logique des événements. Si ça ne risque pas de mettre la puce à l’oreille de vos joueurs, jouez cette phase en vous passant de musique.
Outre l’éclairage, vous pourrez aussi réaliser vos propres parchemins-accessoires de sort, au besoin en lisant mon article best-seller dans votre fauteuil en cuir, un ballon de Cognac à la main (profitez-en, la deuxième lecture est gratuite jusqu’au 28 de ce mois). Les parchemins pourront servir de support de lecture classieux pour vos joueurs (si vous avez pris soin d’écrire des choses dessus avec de l’encre réactif à la lumière noire, vous pourrez obtenir un effet sympa dans la prochaine phase, lorsque vous allumerez vos lumières…).
A l’opposé, si vous sentez que vos joueurs restent sceptiques quant à l’efficacité du sort qu’ils vont lancer et qu’ils risquent même de s’interrompre par perte de motivation, vous pourrez les encourager à continuer par la seule description d’un élément nouveau au moment où ils commencent l’incantation (vrombissement de l’air, pulsations, petits arcs électriques, assombrissement du ciel, chute de température, vague brouillard, etc.). Vous pourrez agir de manière plus subtile en diffusant, au moment où ils vont commencer leur incantation, une petite musique appropriée, mais pas trop grandiloquente (on garde ça pour l’étape 2).
La fin du sort
C’est le moment le plus intense de la manœuvre, vous pourrez mettre le paquet dans vos descriptions en terme de mise en scène, surtout si le sort est puissant. N’oubliez pas que c’est peut-être l’aboutissement de plusieurs séances de jeu de recherche et préparation, vos joueurs en veulent pour leur argent/chips/pizzas !
Mon principal conseil avant de rentrer dans le détail est de PREPARER un minimum ce moment, l’improvisation peut se montrer bien plus compliquée que prévue, vous pouvez encore vous prendre les pieds dans le tapis. Aussi répétez avant votre séance de jeu vos descriptions, quelques mots choisis que vous allez employer, la trame événementielle de ce qui va se passer, la/les musiques que vous allez diffuser et peut- être les autres effets que vous avez dans votre manche.
L’accomplissement du sort est arrivé ; les effets doivent maintenant se déchaîner. Vous n’êtes pas obligé de décrire une débauche d’effets pyrotechniques ahurissants à la sauce Monty-Python (rencontre avec Merlin), d’ailleurs, je vous le déconseille.
L’objectif réel consiste juste à marquer fortement le contraste avec la situation précédente tout en mettant en scène le surnaturel. Vous pouvez décrire tout un panel d’événements visuels, sonores et sensitifs : fumée se mouvant anormalement, petits éclairs de couleur étrange, voix d’outre tombe, ténèbres engloutissant tout, coloration de l’air, odeur suspecte, flashs, sol qui se soulève, vent, pluie, déchirement du ciel et de la terre, particules enflammées, etc.
Ne négligez surtout pas l’impact de l’inconnu sur vos joueurs : décrivez des phénomènes intraduisibles pour l’esprit, faites tourner leurs méninges sans les laisser comprendre. Jouez sur les lois de la physique, évoquez des inversions partielles de la gravité, faites apparaître temporairement une nouvelle dimension dans la zone qui bouleverse tous les angles des choses. C’est le moment de leur parler de bulles métalliques iridescentes qui tournent et pulsent au rythme de leurs battements de cœur, de sons atomiques qui les écrasent sous des affres de douleur, de spasmes dans l’air qui génèrent des couleurs inconnues, de nuage stellaire à la profondeur infinie etc.
Croisez les sens, inventez des concepts incompréhensibles mais suggestifs, faites confiance à l’imagination de vos joueurs. Evitez simplement l’écueil du ridicule (des broubrous qui glougloutent, des spirales qui chiffonnent la rétine, etc.).
Côté mise en scène hors-jeu, c’est le moment de diffuser vos morceaux de musique les plus dramatiques, inquiétants et suggestifs. Si vous affectionnez ce genre de moyens, faites varier votre ambiance lumineuse à table : éteignez vos lampes si vous jouez de nuit, ou au contraire allumez tout. Branchez vos spots de couleur jusque-là camouflés, branchez votre néon de lumière noire, etc.
Certains habitués de mon site web m’ont raconté comment ils se servaient d’un simple ventilateur caché sous la table en été et allumé à pleine puissance au moment propice, pour accentuer le malaise.
Vu qu’il m’arrive d’avoir une vie social après le jdr, je ne raconterai pas ici comment je me sers parfois de ma machine à fumée, mais je vous laisse imaginer l’étendue de vos possibilités.
Comme d’habitude, apprenez à connaître vos joueurs et demandez-vous quelle est la limite au delà de laquelle ils vont « décrocher » de votre ambiance pour commencer à la trouver ridicule, n’allez jamais jusque-là lorsque vous voulez utiliser des effets spéciaux hors-jeu.
L’après sort
A ce moment, les choses se calment généralement, aussi revenez à une ambiance hors-jeu et en-jeu plus sobre et neutre.
Une possibilité si les choses tournent mal pour les investigateurs est de procéder à un « fondu » jusqu’à la scène suivante de votre scénario.
Ex : « les éléments finissent de se déchaîner autour de vous, tout devient sombre et silencieux… Vous vous réveillez dans un sous-bois humide…«
Vous pouvez même accompagner ce « fondu » scénaristique en éteignant toutes les sources de lumière de votre local de jeu pendant quelques secondes avant de tout rallumer le sourire aux lèvres en décrivant la scène suivante.
8 – Comment apprendre et mémoriser les formules ? Klaatu Verata….Hurmffffhurrrmff !
Un peu de technique
Pour la mémorisation d’une formule courte (1-5 lignes), j’ai mis un petit système au point : Je fais moi-même un jet sous 5 fois l’INTelligence de chaque personnage qui lit la formule en me précisant qu’il tente de la retenir (sous 3 fois l’intelligence si le personnage ne tente pas de se souvenir).
Chaque tranche de 5 points de réussite (10 si vous êtes sadique) indique que le personnage se souviendra parfaitement de la formule pendant une unité de temps du scénario (heures si le scénario prend quelques heures de temps de scénario, jours s’il dure des jours, etc.).
Je note le résultat sans en avertir le joueur et au moment où il souhaite s’en souvenir, je consulte mes résultats. Si ma fiche m’indique un échec ou qu’il s’est passé trop de temps depuis la dernière lecture, il ne se souviendra pas de la formule.
Ex : Dans un scénario censé durer quelques heures en jeu ; un joueur a 10 en INT, il lit le grand papyrus de Kargueule-de-loup qui renferme le grand sort d’invocation de petits chatons hémophiles. Son personnage le lit distraitement sans m’indiquer qu’il tente de retenir quelque chose, je fais secrètement un jet sous 3 fois son INT : 30, j’obtiens 21 ; soit une marge de 9, (1 x 5). Je peux me noter sur un coin de page que ce personnage aura des souvenirs des formules simples pendant une heure de temps en jeu.
Pour ce qui est de la mémorisation des sorts plus longs, je vous renvoie au livre de base de l’AdC.
Côté ambiance
Deux situations sont à envisager : soit vous jouez un scénario en une séance de jeu soit vous jouez une aventure ou campagne en plusieurs scénarii et vous pouvez vous permettre « d’étaler » l’apprentissage sur plusieurs séances.
Dans le cas où vous manquez de temps, limitez vos interactions à une simple description de la découverte faite par les personnages, et du temps qu’ils ont passé à l’étudier. Dans cette hypothèse, vous pouvez par exemple procéder de manière « cinématographique » en décrivant les longues scènes de lecture et d’étude du point de vue d’une caméra épiant les personnages entre les rayonnages de la bibliothèque/les planches disjointes de la cabane où ils se sont réfugiés, etc.
Si vous avez plus de temps, vous pourrez multiplier les séances de découverte. Avec la coopération et les idées des joueurs, organisez des parenthèses dans vos scénarios où vous pourrez leur présenter l’avancement de leurs recherches et de leur mémorisation. Dans ces moments, passez-leur de petites musiques choisies (écoutez du côté de la B.O. du film « La 9ème porte » par exemple).
A titre d’inspiration, vous pourrez commencer par leur faire jouer/décrire leurs premières séances de découverte du document sous forme de longues lectures et son cortège de regards pesants échangés entre personnages.
Dans un autre scénario, vous pourrez passer aux débats houleux qui naissent entre les personnages au sujet du sort découvert : faut-il s’en servir ? N’est-ce pas trop risqué ? Deviennent-ils fous ?
Vous pouvez aussi aborder les épisodes de collecte des différents composants, leurs premières répétitions de l’incantation, leurs cauchemars, etc.
9 – Quelles conséquences à l’apprentissage des sorts ? » John, je suis trop vieux pour ces conneries, sort de ce placard ! «
Ca y est, ils l’ont fait, ils ont déchaîné la puissance obscure des arcanes ? Et après ? Les joueurs reprennent leurs discussions mondaines en dégustant des sablés accompagnés de thé noir ? Un peu trop simple, vous ne trouvez pas ?
Même si les joueurs se sentiront déjà pas mal pénalisés par la perte de santé mentale que prévoient les règles, ils devraient toujours ressentir que leurs personnages se sont livrés à quelque chose de discutable. Quelque chose qui est littéralement contre nature.
Les implications de leur acte vont peut-être bien plus loin que ce qu’ils imaginent. Ils n’ont peut-être pas ébranlé les fondements du grand ordre cosmique, mais ils ont peut-être ouvert un passage, rompu un sceau, déstabilisé ou dérangé une entité, etc ?
En bon gardien de l’AdC, vous pourrez facilement récupérer cette idée lors de vos campagnes en relançant ponctuellement les inquiétudes de vos joueurs sur les conséquences à long terme de leur invocation.
Jouez par exemple sur le thème du surnaturel : à intervalles réguliers, vos joueurs sont confrontés à des choses inexplicables en rapport avec l’incantation. Leurs personnages entendent des voix, la disposition du mobilier de leur domicile varie légèrement sans explication, ils font des cauchemars récurrents en rapport direct avec le sort, etc.
Ils peuvent aussi ressentir un malaise physique : saignements de nez, démangeaisons inquiétantes, maux de tête, malaises, etc. Il ne s’agit pas de harceler en permanence vos personnages qui auront déjà fort à faire avec les nœuds de vos scénarii, mais simplement de leur rappeler ponctuellement qu’on ne flirte pas avec les forces occultes sans se brûler les ailes.
Le mot de la fin :
L’incantation de sortilèges par vos investigateurs est l’occasion de passer un tas de bons moments d’ambiance avec vos joueurs. En définitive, tout l’art du bon gardien de l’Appel de Cthulhu sera encore une fois de suggérer l’horreur en faisant appel à l’imagination des joueurs.
Sobriété et doigté seront ici encore les maîtres mots de votre tâche.
Gardez simplement à l’esprit que la mise en œuvre des forces occultes risque de déchaîner des forces cosmiques incommensurables. Aussi traitez ces situations en jeu avec le sérieux nécessaire. Invoquer une entité extraterrestre n’est pas aussi évident et inoffensif que de se servir d’un grille pain. Veillez par votre jeu de gardien à ce que vos joueurs comme leurs personnages gardent toujours cela à l’esprit.
Bon jeu !
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(3 commentaires)
Décidément je continue de découvrir des articles bien cachés sur ton blog !
Très intéressant guide pour venir mettre en scène ces (potentiellement) grands moments anthologie qui peuvent conclure une partie de l’AdC.
Globalement en accord avec ce que tu écris, pour moi le principal étant que la rareté fait la valeur. De toute façon c’est un peu l’esprit AdC à la base, dans le sens où la magie va rester extrêmement rare, ce qui la rend normalement d’autant plus mystérieuse.
En pratique c’est facile de se laisser déborder et de conclure chaque scénar one-shot par une incantation mystique. A mon humble avis, l’idée d’un cérémonial bien codifié marche bien une fois mais risque de lasser les joueurs. Au bout de quelques scénars, ça sent quand même l’épisode de Charmed réchauffé ! Le rituel cliché dans la cave de mémé en sacrifiant des poulets au milieu d’un pentacle fait en bougies parfumées à la vanille, c’est un peu daté.
Après j’ai des gouts de mise en scène plutôt sobres, je dis pas que je serais insensible à un sortilège magnifiquement amené à grands renforts de machine à fumée et spots lumineux, mais que c’est pas ma tasse de thé 😉
Par contre l’idée que tu proposes de présenter le parchemin / objet magique comme d’apparence totalement banale, ça me parle beaucoup plus. Tout comme l’idée d’un effet « psssschiuuut » style « rien ne se passe et vous êtes des blaireaux » avec un magnifique effet à retardement subtil mais très dérangeant (modification de la réalité ?) et semant le doute dans les esprits – ça s’est vraiment passé ou bien juste je deviens fou ? Tout semble identique et pourtant tout a changé…
L’enjeu de l’utilisation du sortilège me parait également extrêmement important à développer car plus l’enjeu semble de taille, plus les personnages seront amenés à effectuer des actions folles pour déclencher ledit sortilège (meurtres d’innocents, torture, tueries de masse, attentats, etc)… dans l’incompréhension totale de leurs contemporains, qui n’y verront probablement qu’une bande de psychopathes à enfermer…
En tout cas encore un grand bravo pour tes rubriques pratiques concernant la mise en scène, ce blog restera à jamais une référence en la matière ! 😉
J’avais écrit il y a quelques temps un post sur la gestion de la folie en JDR, et il me semble très bien compléter le tien dans la gestion de la « santé mentale » avant / pendant / après le sortilège, je me permets de poster le lien ici : http://gardiendesarcanes.blogspot.fr/2011/05/lutilisation-de-la-folie-et-des.html
Merci, je suis entièrement d’accord. N’hésite pas à poster d’autres références si tu le souhaites. C’est exactement comme cela que j’appréhende les commentaires dans ce site.
Au fait, si jamais un jour ton blog ferme ses portes pour une raison ou une autre, n’hésite pas à me transmettre tes articles pour que je les accueille ici, ça nous permettra de centraliser ces conseils et de les archiver.
Y’a pas à dire, l’article était bon en soi, mais avec les illus° qui ponctuent tout du long, ça donne du lourd et du tentaculeux.