Le JDR – Un casse-tête sémantique : « règles » et Roleplay

Continuons notre tour d’horizon des expressions rôlistiques pas si évidentes que à ça à définir.

Dans un épisode précédent, avant de parler de jeu vidéo, on a pu constater que le plaisir de « jouer un  » n’était pas ressenti avec la même intensité pour tous les rôlistes et que cela se ressentait sur leur rapport à leur personnage :

  • Ce qui plaît à certain dans le fait de jouer un rôle, c’est d’improviser une cohérente et crédible lorsque leur personnage est confronté à des situations où sa réaction n’est pas évidente. Pour ces joueurs il existe un réel plaisir intrinsèque à « jouer un rôle », il vient notamment du fait d’explorer et de modeler leur personnage pendant le jeu.
  • D’autres joueurs ne semblent pas tirer de plaisir particulier à interpréter leurs personnages et trouvent des palliatifs pour le télécommander efficacement sans trop creuser : ils s’en remettent à son archétype (voleur, guerrier, bibliothécaire etc.), s’efforcent de formaliser des background conséquents avant la partie pour lui pré-définir des réactions qui couvrent le plus de situations de jeu possible etc. Pour ces joueurs « jouer un rôle » ne procure pas trop de plaisir en sois, c’est plutôt ce que permet le jeu du rôle qui va leur donner leur plaisir (dénouer une intrigue, remporter un challenge, optimiser la partie chiffrée de leur personnage, passer un moment entre potes etc.). Le jeu de leur personnage n’est pas un plaisir en lui-même, mais un moyen de ressentir du plaisir de jeu.

Venons-en maintenant au Roleplay

wow

L’expression « Roleplay »

« Meunon je suis désolé, là t’as pas été èrpééé là ! AD&D 4 c’est un jdr où il faut RP ! Mais toi tu fais ton narrativiste de mes deux qui fait rien qu’à narrer au lieu d’RP. Si t’es pro RP, file ton TACO pour XP, Ok t’a pigé ? RAS pour PDF KO, TGCM panpancucul… « 

(N.B. pour les joueur issus du jeu vidéo, le Roleplay est souvent abrégé « RP » – prononcez « èrpé »)

C’est une expression anglophone dont – manifestement – le sens varie d’un esprit de rôliste à l’autre (si, si, faites des sondages !). Là où ça devient croustichoco, c’est que les rôlistes en question n’ont pas toujours conscience qu’un interlocuteur peut avoir une conception différente de la leur¹ – « le Roleplay… Bein c’est le Roleplay quoi ! »

Sur ce coup, Larousse ne nous viendra pas en aide, qu’en disent les rôlistes/gamers ?

Illustration originale sous licence CC de Purplecrazypolarbear

  • Pour les uns, le Roleplay est l’ensemble des faits et gestes d’un personnage volontairement accomplis/décris par le joueur mais considérés comme superflus par le système de référence (ex : chater de la pluie et du beau temps en faisant des emotes avec votre personnage dans un jeu vidéo où le modèle économique est basé sur la course aux niveaux et au nombre de monstres dessoudés à l’heure),
  • Pour d’autres, au contraire le Roleplay se limite à la faculté des joueurs à ne pas faire d’aparté hors-jeu avec les autres participants pendant la partie, (ex : on ne parle pas du dernier concert de Desdinova pendant la scène d’amuuuur d’introduction etc.)
  • Pour certains, c’est la faculté à se conformer à l’archétype fonctionnel qu’on a choisi pour son personnage (ex : soigner les blessés sans poser de question lorsqu’on est un guérisseur, partir en éclaireur dans la clairière lorsqu’on est ranger, se mettre en colère contre les infidèles lorsqu’on est paladin etc.).
  • Illustration originale sous licence CC de OrShouldIPour d’autre, c’est la faculté d’un joueur à s’écarter le moins possible des traits définis pour son personnage. Ce type d’approche du Roleplay valorise la rédaction de bibliothèques de background de manière à rester rôleplay en toute circonstances. Ex : « Ah non, désolé, mon personnage ne peut pas aller sauver cette princesse ; à 11 ans il a été humilié par une gamine du village qui portait le même nom, ce qui l’a traumatisé au point d’en devenir bègue, regardez, c’est écrit là… » (notez qu’il y a bien une légère différence avec la catégorie précédente, les premiers étant focalisés sur ce que le personnage est sensé faire par nature, les seconds sur ce que son background (plus malléable et personnalisable) dicte de faire. Les représentants des deux catégories devraient tout de même pouvoir se supporter sans se gifler à coups de poisson pas frais).
  • Pour d’autre encore, le Roleplay c’est la manifestation du travail d’interprétation original d’un participant lorsqu’il joue le rôle d’un personnage, c’est à dire la part d’improvisation et de construction du joueur sur ce qui n’est pas déjà défini pour son personnage. (ex : vous jouez le rôle d’une petite fille facétieuse et légère, comment réagirez-vous lorsqu’un automate de fête foraine vous interrogera sur votre angoisse de la mort ?)
  • D’autres considèrent que le Roleplay c’est un mélange/croisement/exclusion des précédentes.

Autant dire que les définitions du Roleplay sont assez nombreuses. Certaines de ces approches illustrent d’ailleurs assez bien l’une ou l’autre des deux tendances que je détaillais dans l’article précédent (interprète/télécommandeur).

Dans tous les cas, avec plusieurs définitions différentes dans la nature et peu de monde pour le remarquer, les bastons de clochers sont pas prêtes de se terminer.


L’expression « règles du jeu »

le constat

Comme beaucoup d’entre vous, il m’est arrivé de lire un certain nombre de « livres de règles » de jdr. Parmi ceux-ci, il y en avait peu qui prenaient le soin d’expliquer, en plus du système de résolution, les principe du jeu de rôle en intégralité. (je vous renvoi pour plus de détails sur le sujet à l’intervention controversée sur les bords mais limpide au milieu de Thomas Laborey et Lucien Pagnon dans ce Podcast de La Cellule).

the_rulesPar exemple, je me souviens avoir lu et relu Pendragon (1986) plusieurs fois en cherchant comment tout ça pouvait bien se passer, qui faisait quoi, quand et pourquoi. J’avais bien compris qu’un groupe d’amis se réunissaient, qu’ils parlaient ensemble, qu’il y avait des personnages. Mais bon sang, que fallait-il faire en pratique ? Du haut de mes 9 ans, sans aucune partie de jdr à mon actif, comment aurais-je pu savoir comment ça se déroulait (alternance des prises de paroles, respect de ce qui a été raconté précédemment, autorités de narration etc.) ?

Je conçoit deux possibilités pour comprendre le déroulement concret d’une partie de jdr :

  • assister à une partie de jdr,
  • se faire expliquer très clairement le principe de jeu.

Il sera naturellement plus pertinent d’expérimenter les deux possibilité pour une meilleure compréhension.

On considère généralement qu’un livre de base de jdr est un bon support pour décrire les principes du jdr. Ces livres sont l’œuvre d’auteurs de jdr qui font parfois le pari de ne pas (ré)expliquer ces principes. Je ne discuterai pas ici la pertinence de ce choix, mais en rappellerai simplement les conséquence lorsque l’œuvre en question atterri dans les mains d’un novice.

confused cat

Toutes proportions gardée, lire un livre de jdr qui n’en explique pas le principe revient à expliquer le principe du Chi-Fu-Mi en disant :

« Règles du Chi-Fu-Mi : la feuille recouvre la pierre, qui casse les ciseaux, qui coupent la feuille. En cas d’égalité : match nul« .

Si on ne parle que de la résolution des manches de jeu mais pas des étapes intermédiaires du Chi-Fu-Mi, celles qui impliquent les mains, le compte à rebours, la représentation des figures, les phases de jeu, le but du jeu, comment voulez-vous que l’on comprenne ?

Pire, si le descriptif technique est estampillé « règles », le lecteur néophyte risque de renoncer à comprendre de quoi il s’agit en concluant que le jeu est trop complexe pour lui, sans même envisager que c’est le manque de pédagogie de l’explication qui est en cause.

Les fondamentaux : qu’est-ce qu’une règle de jeu ?

Dans son sens général, Wikipédia nous explique qu’il s’agit de

Les règles décrivent traditionnellement :

  • le matériel de jeu
  • le but du jeu
  • le nombre de joueurs
  • la situation initiale
  • le déroulement du jeu
  • les conditions de fin de partie et[/ou de] victoire

Problème : avec du recul, on se rend compte qu’il reste beaucoup de jdr qui négligent de décrire des points essentiels des règle du jeu en jdr. Je pense plus particulièrement au déroulement du jeu. Dans de nombreux livres de jdr, cette partie se borne souvent à expliquer comment résoudre les oppositions, gérer le matos et les combats, les blessures et les sortilèges (le système de résolution). Pour les explications fondamentales sur le méta-jeu, les droits/obligations des participants on part du principe que vous savez déjà. Les initiés gagnent du temps, les novices sont paumés.

i know what i'm doing

La brochure de présentation du jdr de la FFJDR, gratuite et générique gagne à être diffusée et clairement désignée par les sites rôlistes passionnés et surtout professionnels. Et pour ceux qu’elle ne satisfait pas, pourquoi ne pas vous remonter les manches et y aller de votre proposition ? L’idée est de créer un référentiel gratuit, facilement disponible, synthétique et clair. En prime, il devrait être assez universel pour être représentatif du plus grand nombre de système de jdr.

Pour en revenir à ce que j’évoquais plus haut, on ne me retirera pas de l’esprit le rôle prépondérant de l’expérience directe dans la découverte du jdr. A côté des bonnes brochures et des explications écrites/visuelles, il me semble indispensable de conserver une démarche de pédagogie et d’ouverture vis à vis des néophytes. Le contact humain direct reste pour moi la meilleure des découverte du jdr. Sa similitude avec l’expérience de jeu et ses possibilités de questions-réponses immédiates sont deux points positifs essentiels à une bonne intégration du loisir. Je pense même que chaque groupe de jeu gagnerait à désigner en son sein un ou deux Madame/Monsieur initiateur qui seraient choisi pour leur pédagogie et leur empathie pour présenter la pratique de leur groupe aux nouveaux arrivants. Après tout, ne dit-on pas qu’il existerait à peu près autant de pratiques de ce loisir que de groupe de jeu ?


¹ Cette tendance à ne pas rechercher à s’entendre complètement sur des concepts avant de se lancer dans un débat sur le sujet est un travers hélas fréquent, il suffit de faire un tour sur les forums pour le constater. C’est aussi un des reproche récurrent que je fait aux podcasts de la Cellule, au demeurant super coolos.

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