Le JDR – Un casse-tête sémantique ? Le jeu, le rôle, l’interprétation…

Photo originale de sinosplice

Hello les gens, je viens de survivre à un déménagement en conditions réelles et je reviens avec mes vieilles graines et ma bêche pour planter quelques nouvelles réflexions perso sur le jeu de rôle. ¹

Le premier sujet que j’ai envie d’aborder vient d’une observation zorglubienne :

Le jeu de rôle est un loisir atteint d’une tare étrange : son nom et les mots employés pour définir ses concepts sont des sources de malentendus épouvantables pour la communication avec les tiers et un intarissable sujet de discorde pour les rôlistes. J’observe aussi étrangement que les tentatives de définition sont généralement accueillies avec des machettes peu d’enthousiasme. Les uns râlent parce qu’on réfléchit trop, les autres soulignent les imperfections des proposées mais généralement sans rien apporter de plus au débat qu’une autre définition qui sera passée au vitriol etc. C’est dommage : s’entendre sur le sens des mots, c’est toujours le premier consensus à atteindre pour discuter calmement.

Illustration originale de TaksiSado

Autant vous prévenir, cet article ne proposera pas de définition du jdr.

Un, parce que chaque promoteur de définition est généralement inspiré par la même idée que le promoteur d’en face : celle que son groupe de joueur est bien le seul a avoir compris ce que l’expression voulait dire et que les autres ne sont qu’une bande de truands de bouts de chandelles incultes. Mon idée c’est plutôt de rechercher nos points communs plutôt que de rivaliser en lancers de définitions.

Deux parce que je trouve ça jouissif de vous faire remarquer qu’avant de définir ce qu’est le jeu de rôles, on peut déjà ricaner en découvrant tous les pièges sémantiques qui aiguisent leur compétence « se cacher » sous les mots « jeu » et « rôle » et les expressions voisines.

Histoire de dresser un constat de taille du pain sur la planche, je vous invite à vous pencher avec moi, loupe à la main, sur les notions que nous utilisons tous les jours pour décrire notre loisir.

Tiens, commençons avec l’expression JEU DE R√îLES. Comme annoncé, ne nous attardons pas sur le sens de l’expression mais plutôt sur celui des mots qui la composent. Rapidement, l’esprit se recroqueville d’horreur dans notre cortex tant le potentiel de trébuchage mental est insondable :

Le mot « jeu »

Il possède plusieurs sens dans le dictionnaire. Parmi ceux qui nous intéressent, Monsieur Larousse nous dit :

Je ne sais pas pour vous, mais cette définition me semble irréprochable pour commencer à définir notre activité.

Photo originale de LeSuicideDeLaMouche

Oh, là tout se complique ! Je pense pouvoir dire sans me tromper qu’une séance de jdr n’a pas pour vocation de déterminer des perdants/gagnants.

On s’aperçoit donc rapidement, si on en doutait, que dans la sphère du jdr, on peut donner différents sens au mot « jeu ».

 


Le mot « rôles »

Mouaip, une définition à priori toute moisie lorsqu’on l’applique à notre loisir parce qu’elle sous-entend une sorte de prédétermination. Une démarche à première vue incompatible avec nos pratiques d’ par improvisation du jdr.

Vous l’aurez compris, M. Larousse n’a pas trop intérêt à traîner ses guêtres du côté de CasusNo.

Une définition intéressante parce qu’elle rappelle le sens historique et originel de l’expression « jeu de rôles » : le jeu dans lequel – historiquement – chaque participant prenait le contrôle des actions d’un rôle (comprendre d’un archétype fonctionnel), d’un personnage type (le soigneur, le chevalier, le voleur etc.) pour la durée d’une partie. D’ailleurs certains ne manquent pas de définir, à juste titre d’un point de vu historique, le jdr comme « Jeu dans lequel chaque participant occupe une place sociale ou symbolique propre« .

Sauf qu’aujourd’hui, le jdr a fait du chemin, et peu de participant acceptent encore de cantonner les rôles qu’ils interprètent au binaire téléguidage d’un personnage type.

Aujourd’hui on ne se contente plus de jouer le barbare, on veut qu’il ait un passé torturé, qu’il soit en instance de divorce, dépositaire d’un terrible secret d’état, issu d’une lignée de Tzimisce venue d’Asgard infiltré dans le groupe de personnages et aveugle avec des réflexes surnaturels. Bref, on ne fait plus du jeu de rôle à Papi, du Heroquest, du voleur/policier, on veut de la profondeur, de la complexité, du challenge.

Photo originale de Lorenzo Gaudenzi

On n’est pas plus avancé : entre la définition N°1 à côté de la plaque et la définition N°2 qui n’est plus d’actualité, est-ce que l’utilisation du mot « rôle » est toujours pertinente pour définir notre loisir ?

Reprenons la première définition de « rôles » ci-dessus : « Ce que doit dire ou faire un acteur« . A bien y regarder, on est pas si loin que ça de notre activité :

Sémantiquement, « jouer un rôle », ça implique juste de s’engager à respecter des contraintes d’interprétation, autrement dit de ne vous conformer à quelque chose qui a été prédéterminé pour votre personnage. Ca peut être des traits de caractère, une idéologie ou des traits physiques et, pour des formes d’expressions moins libre que le jdr, des dialogues, une destinée, des actes.
Par exemple, si vous jouez le rôle du loup dans le Petit Chaperon Rouge, le jeu de votre rôle impliquera le respect de plusieurs contraintes :

  • des dialogues avec une petite nigaude sans aucun sens du camouflage rural,
  • une apparence évocatrice d’une menace pour un enfant,
  • une histoire de vieille dévorée,
  • une fin atroce mais moralement acceptable.

Au delà, rien ne vous empêche d’apporter librement de la nouveauté au personnage et à son jeu dès lors que vos apports ne rentrent pas en conflit avec les éléments imposés par le rôle :

  • vous pourrez prendre le timbre de voix que vous estimerez adapté, voire rester muet en pratiquant un langage corporel bien expressif,
  • vous pourrez prétendre que vous suivez un régime sans sel, tant que ça ne vous empêche pas d’engloutir la mamie de l’histoire.
  • vous pouvez terminer l’histoire mangé par un T-Rex monté par le chasseur, tant qu’il ne dévore pas également la gamine et sa mémé.

Lorsque vous apportez ces éléments nouveaux à un rôle qui a été prédéterminé, vous faites plus que jouer votre rôle de loup (au sens de respecter les contraintes liées au rôle de loup) ; vous commencez à l’interpréter, c’est à dire à remplir les espaces laissés vides entre les contraintes liées au rôle. Interpréter, c’est consacrer une part de votre personnalité à jouer un rôle, c’est investir un peu de vous même dans le jeu de ce rôle. L’investissement personnel créatif dans un personnage fait toute la différence entre interpréter et jouer un rôle.

Comment ça se passe dans votre groupe de joueurs, chez nous j’ai plus l’impression qu’on fait du jeu d’interprétation de rôle que du jeu de rôles stricto sensu.

 

dagger_r+jlongsword_r+j

Pensez à des films comme Romeo + Juliet ou d’autres adaptations et vous aurez une illustration parlante des liberté qu’on peut prendre au delà des contrainte d’un personnage tout en respectant un rôle.

 

 

 

Finalement, je me rend compte la définition N°1 de Larousse collait bien à la notion de rôle : Ce que doit dire ou faire un acteur.
Ce qu’on peut regretter dans l’expression « jeu de rôles », c’est l’absence de référence à l’interprétation des rôles, qui me semble bien plus essentielle et caractéristique dans notre loisir. Et pour cause c’est une originalité qui différencie notre loisir d’autres loisirs proches.
Par exemple, les autres arts créatifs et figuratifs (ciné, théâtre, danse etc.) enferment souvent les interprètes dans un carcan fixé où les éléments du rôle sont très codifiés, imposés et généralement issus de la personnalité d’un tiers (le dialoguiste, le metteur en scène, le réalisateur, le parolier, le compositeur, le chorégraphe etc.). Les espaces de liberté des interprètes existent dans ces arts mais ils ne sont pas forcément spacieux.
C’est moins le cas pour le jeu de rôles, ou le théâtre d’improvisation pour lesquels les « espaces de contraintes » liés aux rôles sont beaucoup plus restreints, faisant de ces loisirs de formidables terrains d’expression.

Pour synthétiser :

Dans les articles à suivre, je vous parlerai des rôlistes interprètes et des rôlistes pilotes (les « télécommandeurs »), je risquerai un parallèle avec les joueurs de jeux vidéo, on parlera de « Rôleplay » et de « règles du jeu ».


¹ Pour mon cher Vonv, je devrai même taguer cet article « Branlette Rôlistique approved« 

Article(s) connexe(s)

Lien Permanent pour cet article : https://ajdr.tentacules.net/meta/reflexions/le-jdr-un-casse-tete-semantique-le-jeu-le-role-linterpretation

(3 commentaires)

    • Khaneety on 24 novembre 2016 at 22 h 54 min

    Ma foi, article très intéressant ^^
    Il est vrai qu’il n’est pas toujours très simple de se mettre dans la peau de son personnage, ou du moins, de faire abstraction de sa nature. (ex : je suis incapable de jouer autre chose que Loyal bon, pas faute d’avoir essayé pourtant)

    Je passerai cet article avec plaisir à mes compagnons de JDR, ça pourrait les intéresser!

    Khaneet
    https://nemandthecity.wordpress.com/

    • Edouard on 28 juillet 2015 at 16 h 24 min

    Hello,

    Je ne trouve pas l’article reliant l’idée des jeux de rôle avec les jeux vidéo. Est ce que tu pourrais coller l’url ici ? En tout cas, moi qui est fan des jeux de rôle, je te remercie pour ton très bon article! Tu as parfaitement compris la psychologie qui entoure cela !

    A bientôt

    1. Hello, pas de problème, j’ai rajouté le lien dans la description pour le passage sur les jeux vidéo, tu peux y accéder en cliquant là dessus

      Bonne lecture, et n’hésite pas à réagir !

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